Les Autres passent à l'Attaque. [PV Elodie & Evan x3]

Il faisait gris, et Lehahel avait ce brouillard maussade en horreur. Elle s’assit gracieusement sur le rebord de la fontaine glaciale, et leva le nez vers la bruine désagréable et les nuages amoncelés loin, au dessus des tours. Le vent frais et sournois qui voguait autour d’elle lui donnait la chair de poule, et ses fringues optimistes étincelèrent sous son regard, décidément hors saison. Elle soupira et plongea la main dans le bassin, quêtant la froideur qui engourdissait ses doigts. Secrets-Town n’était vraiment pas une station balnéaire.

Elle avait choisi pour l’occasion de porter des vêtements sans équivoque – car si Elodie pouvait compter sur son intelligence pour l'aider dans son stratagème, Lehahel avait quant à elle plus confiance en ses atouts … corporels. Elle jeta un œil rieur sur sa robe d’un vert vif et évasée aux épaules, et sur sa forme à la fois décente et imaginative, courbée sur ses hanches et mettant en valeur ses jambes bien trop blanches (il faudrait envisager d’inventer les UV, lorsqu’il y aurait une trêve, dans 514 ans.) ; remontant son bandeau dans ses cheveux vifs, elle lissa machinalement le tulle de son t-shirt et chercha Elodie du regard.

Elles avaient rendez-vous autour de la fontaine, mais Lehahel était comme d’habitude en avance ; elle avait décidé d’agir seule, sans les autres dirigeants des Autres, qui de toute façon, avec leurs querelles constantes, feraient capoter l’affaire ; alors, elle comptait, comme d’habitude, sur l’attitude posée et téméraire de son amie, qui l'aiderait si son idée farfelue et à petite échelle dégénérait.

Cette fois, elle n’échouerait pas dans sa tâche.

Lehahel regarda son reflet dans l’eau et réfléchit : tout était prévu. Elle avait suivi le Hunter des jours durant, épiant ses faits et gestes, et elle connaissait ses faiblesses ; franchement, avec son cabot mièvre, il ne représentait pas à proprement parler une menace. Elle l'avait remarqué il y avait quelques semaines lorsque, dans une bataille, au lieu de rester pour décimer tout ce qui bouge, il s’était gentiment éclipsé : elle avait sa victime. Il passait sur la grande place la plupart des matins, et toujours à leur convenue. Il était donc temps d’agir.

Le plan était simple, de fait ; et elle récapitulait leurs options en attendant que son acolyte la rejoigne. Elle avait choisit sa proie avec minutie, et s’était interrogé sur les facettes de ladite victime. Ensuite, et sur cette place baignée de monde, elle attraperait le Hunter discrètement, et, à l’aide des couteaux de cuisine qu’elle avait réunis en pillant la plupart des tiroirs du voisinage, le menacerait pour avoir des informations sur le système Hunter. Elodie serait là, ou pour calmer ses ardeurs, ou pour la défendre contre le Hunter : elle avait une totale confiance en elle et en son pacifisme. Les explications du jeune homme, doublées des fioritures qu'il leur apprendrait, les aiderait, premièrement, à monter l’armée tant désirée, et deuxièmement, à apprendre à se défendre contre une partie de l’ennemi. Elle reproduirait certainement ce genre de petite embuscade suicidaire sur un sorcier, un de ces jours. L’excitation et le gout de l’adrénaline explosa dans la poitrine de Lehahel, et elle étendit lascivement les jambes, faisant mine de prendre le soleil (inexistant, mais bon, le ridicule ne tue plus), et sourit. Evan Uxley, qu’il s’appelait. Arme ? Un gros chien baveux. Des bras comme des colonnes et un torse grand comme une montagne, mais elle n’avait pas peur. Elle savait se battre et séduire si besoin était. Avec un peu de chance, il n’était pas fût-fût et viendrait carrément les accoster – c’était de notoriété publique que les Autres étaient les catins des Sorciers et des Hunters un tant soit peu en manque. Et ensuite… couteau dans le dos et interrogatoire furtif. Et lorsqu’elle ramènerait ce flot d’arguments aux deux autres chefs des Autres, ils pourraient prendre une décision. Elle allait découvrir les points forts, les faiblesses, les propriétés mystiques des Hunters, et ce, grâce à l’adorable blondinet pacifique. Bon, d’accord, elle profitait de la gentillesse de cette bombe masculine, mais peu importait, non ?

Œil pour œil, dent pour dent. Lehahel avait peut-être un caractère guilleret, mais elle n’appréciait pas qu’on massacre sa race sous prétexte qu’eux, n’étaient pas des monstres. Et s’il fallait le devenir pour vaincre, elle n’avait aucun problème. Elle ouvrit un œil et caressa le menton de Monsieur, qui ronronnait près d’elle en hérissant ses poils gris. Monsieur détestait les chiens. Avec un peu de chance, il crèverait les yeux du cabot si il attaquait. Elle chercha encore une fois Elodie des yeux, et attendit. Elle lui avait promis, d'attendre. D'attendre la voix de la raison.

Le chat ronronna plus fort et se pelotonna contre sa cuisse. Elle effleura la lame des couteaux dans sa besace colorée. Les Autres allaient passer à l’attaque.

Lorsqu'elle se reveilla ce matin là, Elodie était bien loin des considérations guerrière de son amie. Etait-ce à cause de la fatigue dont elle ne réussissait pas à se débarrasser, ou bien à cause de ce préssentiment de mauvaise augure ? Elle n'en avait pas la moindre idée, mais une chose était sur, il lui faudrait être particulièrement attentive au propos de Lehahel aujourd'hui, si elle ne voulait pas que la moitié de Secret Town explose...

Se passant un coup de brosse rapide dans les cheveux, elle sauta dans un jean, enfila un tee-shirt jaune puis une veste de Jogging verte, attrapa une pomme dans la corbeille de fruit de son minuscule appartement, et sortit de chez elle, l'esprit encore bien embrumé par sa nuit.

Ce n'était que le matin, il n'était même pas onze heures, et pourtant, déjà, les nuages s'amoncelaient au dessus de leur ville bien-aimé. Ironie, douce ironie... Elodie soupira : Cette journée ne serait pas superbe, elle le sentait aussi fort que la pluie qui s'apprêtait au dessus de leurs têtes. Elle avait donné rendez-vous à Lehahel à la fontaine... ou peut-être était-ce le contraire... elle ne se souvenait plus trop. Sûrement le contraire. Lehahel était de ceux qui dominent, qui décident, et qui ordonnent, au contraire, Elodie était de celle qui obéisse parfois, ou qui ne font rien, mais en tout cas, pas de ceux qui dictent les ordres. Oui, c'était certainement Lehahel qui avait fixé le rendez-vous... à la fontaine... par ce temps... A cet instant, Elodie se promit que si la pluie leur tombait sur la tête, elle éclatait son poing dans le visage de son amie. Ce n'était pas de l'ironie cette fois-ci, seulement... disons qu'Elodie avait du mal à intégrer la notion d'amitié. Ce n'était pas nouveau bien sur, et sûrement que ça ne changerait jamais, mais... c'était ainsi...

S'appercevant, certes un peu à retardement, de la pulsion violent qu'elle venait d'avoir. Jamais, en temps normal elle n'aurait envisagé de mettre un coup de poing à Lehahel... Si ? Par précaution, la jeune femme ferma les yeux quelques secondes et inspira plusieurs fois pour calmer une hypothétique crise de rage. Et voilà, elle allait être en retard... Flute alors... Enfin, il ne fallait pas qu'elle se laisse irriter par cela.

Rouvrant les yeux après quelques instants, Elodie souffla avant de reprendre sa marche rapide vers la fontaine. Vers Lehahel... et son plan tordue.

Non mais franchement, quelle idée avait-elle encore eu de vouloir attaquer un Hunter ? C'était complètement ridicule... et suicidaire, surtout lorsqu'on estimait qu'elle voulait le faire sans l'aide des deux autres idiots. Non, bien sur, Elodie ne les considéraient pas comme réellement idiot, seulement... Disons qu'elle estimait qu'il fallait être sacrément suicidaire pour vouloir s'en prendre aux sorciers et/ou aux Hunters. Elle en savait quelque chose, elle avait vêcu dix-sept ans auprès d'eux. Les hunters, c'était les pires. Parce que les sorciers, eux, n'avait pas réellement choisit ce conflit, alors qu'il y avait des siècles que les Hunters cherchaient la bagarre... Enfin, ce n'était que l'avis d'Elodie, il était à prendre au conditionnel, après tout, elle-même n'était pas réellement objective dans ce conflit... Elle avait son ascendance Hunter, et ses morts... En réalité, c'était elle qui aurait dû à tout pris vouloir tué ces sorciers et ces hunters...

Pour la première fois, Elodie s'appercevait de son manque totale de logique... Enfin... ce n'était pas plus mal... Si elle avait été en colère contre le monde entier, ç'aurait été un massacre complet... Et elle devait avouer que les massacres ne faisaient pas parti de ses projets d'avenir... bien trop encombrant à son goût. Elle préférait de loin le calme reposant de la soumission : Au moins, on ne l'obligeait pas à agir trop.

Elodie, une feignasse ? Non... ou allez-vous chercher ça ?

Arrivant en vue de la place principale et de sa fontaine, la jeune femme soupira : Lehahel s'était encore habillée totalement hors-saison. Le jour où elle attraperait une pneumonie, il ne faudrait pas qu'elle vienne se plaindre, parce qu'Elodie lui rirait au nez. Non mais sincèrement... Elle essayait de charmer qui avec cette tenue exactement ?

S'installant en tailleur à ses cotés sur le rebord de la fontaine, elle eut un sourire désabusé.

- Je t'ai déjà vu en pyjama Lehahel... Tu n'as plus besoin de ce genre de tenue pour me charmer...
Humour bien sur... Elodie n'était pas de ce bord là... Du moins, lui semblait-il... Et puis, la question de qui elle pouvait bien vouloir charmer dans cette tenue restait encore présente dans l'esprit d'Elodie. Non, ce n'était tout de même pas... Elle n'avait pas l'instant de charmer un Hunter ou un sorcier pour l'attaquer ?! Elodie soupira longuement, très longuement avant de déclarer d'une voix monocorde :

- Tu es complètement folle.